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La parenthèse ou le jardin secret d'un garçon ordinaire de Nathaniel Vigouroux
La parenthèse de Nathaniel Vigouroux, paru chez Evidence Editions dans la collection Freyja, est à prendre au sens propre du titre dans le sens où c'est réellement une parenthèse du genre plus qu'un vrai m/m .
Le pitch:
Il est parfois difficile de s’accepter tel que l’on est et de donner un sens à ses émotions, car pour cela, il faudrait au préalable se connaître et pouvoir se comprendre.
Théo, un trentenaire à l’enfance compliquée, est doté d’une sensibilité à fleur de peau. Il partage à mi-temps une vie de couple avec Christelle, une amie de lycée. Mais un jour, il croise par hasard le regard d’un inconnu sur une ligne du métro parisien et voilà ses émotions qui explosent. Théo saura-t-il mettre des mots sur l’attirance qu’il éprouve pour cet homme et accepter d’aimer autrement ?
Le jeune homme, troublé par le désir, et empêtré dans les doutes qui l’assaillent, voyagera de Paris à Milan à la recherche de cet inconnu dont il ne sait rien. Il parviendra pourtant à connaître son prénom : Giacomo...
Les deux hommes finiront-ils par se rencontrer ?En avant propos, il me semble important de prévenir que La parenthèse n'est pas vraiment une lecture m/m au sens propre, ce n'est pas vraiment une romance mais plutôt une quête de soi. Si tu es curieux/se, tu vas pouvoir vraiment apprécier un style très fort avec une histoire qui s'approche de la recherche d'identité d'un héros trentenaire, si tu es plus classique et à fond dans la romance et bien je dirais, tente le coup quand même car c'est une belle découverte.
La plume est acerbe et très littéraire, associant des images tristes, nostalgiques, parfois douloureuses à des moments plus funs et plus contemporains. C'est une écriture qui défile, comme un slam pour un Théo trentenaire qui se questionne, qui trimballe pas mal de souvenirs communs avec un milieu populaire catholique.
Théo Dujardin est un garçon de visu bien dans son époque et son milieu mais, au fond de lui, c'est un vide affectif, un manque d'amour parental qui grignote encore le petit garçon qu'il est resté. Un Théo qui passe donc de l'enfant au jeune ado enamouré mais qui est toujours aux prises des besoins et des obligations de son corps et sa vie d'adulte.
Après sa première rencontre dans le métro avec son beau latino, commence pour lui une lente introspection à propos de son attirance sur laquelle, il a du mal à poser des mots (ce qui en revanche est loin d’être le cas de l'auteur qui sait magnifier ces instants avec talent).
Sans nier ses pulsions ou se mentir à lui même, il se contente, par lâcheté peut-être, par peur certainement, de les orienter sur un chemin acceptable par tout son être pétri d’éducation bien pensante ; Théo compartimente les choses pour s'autoriser méthodiquement à les vivre et les ressentir.
Le laïus intérieur, tel un délicieux délire personnel, nous rappelle nos propres égarements, nos propres rêves, et le coté loufoque du jeune homme n’apparaît vraiment que dans la face cachée de la médaille, celle que lui, comme nous, redoute et pourtant espère de laisser briller à la lumière. Quand Théo, peu à peu, se révèle à nous, c'est le jeune franco-italien qui à son tour se révèle à lui. Quand Giacomo se livre enfin à Théo, c'est une offrande, une réponse à ses semaines d'interrogations, l'un et l'autre se sont bel et bien trouvés mais auront-ils la possibilité ou le désir de se vivre ? Théo va-t'il se contenter de la réalité rassurante d'une vie satisfaisante ou va-t'il risquer ses nouveaux sens en laissant de côté le garçon docile si fermement formaté?
La présence de Christelle, la compagne de Théo, est une sorte de condensé de toutes ces femmes que l'on peut parfois croiser dans le mm ( quand on a la chance de se voir épargner une vision néfaste de l'influence féminine). Elle est celle qui aide, qui comprend mais aussi celle qui manipule en poussant Théo dans son envie de plus. Elle est la face éclairée de la médaille, une femme, pourvue de ses propres questions et inquiétudes quant à son amour pour le jeune homme, qui sait prendre des décisions quand Théo en est incapable. Une de ces femmes simplement femme qu'on ne saurait ni haïr ni particulièrement aimer dans cette histoire mais que l'on peut comprendre : l'alter ego normalisé d'un Giacomo qui sent peut-être trop le changement radical pour Théo.Si la plume ardue, riche et complexe de Nathaniel Vigouroux m'a personnellement complètement emballée, avec son paradoxe constant qui surfe et relie le passé à l'avenir aussi bien dans son choix lexical que dans la personnalité de son héros, les dialogues, eux, m'ont paru un peu plus lourds et maladroits parfois. Peu nombreux, ils ont eu sur moi un effet "surjoué", par moment et heureusement pas tout le temps, trop littéraire alors que cet aspect est une vraie qualité dans la narration.
Ce roman est un récit sur lequel les aficionados ultra du genre diront peut-être "mais il ne se passe rien ?" alors qu'il s'y passe tant de choses au contraire. Des choses, des pensées qui tournent en chacun de nous, jour après jour, qui nous poussent ou nous retiennent dans nos aspirations, qui nous maintiennent dans la satisfaction illusoire de nos rêves et qui nous évitent la peur du passage à l'action ou la confrontation au réel. On pourrait facilement comprendre la déception du final pour certains (la couv et le résumé pouvant prêter à confusion), même s'il est difficile de contester un choix d'auteur quand à la direction de son histoire, mais dans ce cas, sortir de ses habitudes peut réellement en valoir le coup.
La fin du roman, à l'image du titre, finit de nous convaincre que La parenthèse est à mille lieues d'un mm conventionnel, d'une romance comme celle qu'on est habitué à dévorer, mais qu'elle est très proche, avec sa vision périphérique des travers de notre société, d’être un excellent exemple sur la découverte de soi, de sa sexualité et de ses choix . Yop.
Citation:
Théo s'assit quelques instants sur un banc vacant à la sortie du parc.Son regard lumineux avait laissé place à une certaine perplexité.
S'apitoyer sur son sort rend stérile, soupira-t-il, et moi finalement, j'aimerais bien me reproduire
Merci à Nathaniel Vigouroux pour ce sp !
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